DEVELOPPEMENT du sondage qui précède, et problématique du « VERGER ».
Quand je pense à la qualité de vie à Dammartin, je fais en premier lieu référence à la sécurité, évidemment, sans tomber dans l'excès ni la paranoia : pensez-vous que c’est un luxe de pouvoir sortir le soir pour se balader à pied et aller rendre visite à un voisin habitant à l'autre bout de la commune, ou, pire encore, une entreprise à haut risque ?
Ou au contraire, vous sentez-vous en sécurité, disons, de manière raisonnable ? En d’autres termes, est-ce pour vous un véritable plaisir de vous balader à pied, de sortir de la commune, d'emprunter d'anciens chemins encore empierrés ou envahis par les herbes ?
Si je vous pose ces questions toutes simples, c’est que je repense à mon grand-père, qui aurait pu, tout comme vous, habiter Dammartin, où il aurait pris sa retraite, par exemple, après s’y être établi durant sa vie active du fait de la proximité de Roissy, où, dans cette hypothèse, il aurait travaillé comme mécanicien aéronautique, après avoir, suite à une blessure de guerre en service commandé, perdu son aptitude médicale comme pilote à Air France.
Je pense donc à mon enfance et à mon grand-père, à la joie qui était la sienne de pouvoir, malgré son statut de Grand Blessé de Guerre, prendre son vélo et "monter" au verger, s'occuper de ses abeilles, tailler ses noisetiers, gauler ses noix ?
Combien d'habitants de Dammartin peuvent encore aujourd'hui s'enorgueillir d'une telle qualité de vie ?
Combien de vieux comme le "jeune vieux" qu'était mon grand-père ont-ils un verger à proximité immédiate de la commune ?
Pour vous expliquer l'importance de ce mot "verger" dans l'appréciation que je fais de la qualité de vie, parlons un peu de Dammartin en Goële.
Voici donc une commune, prise entre l'aéroport Charles de Gaulle et la campagne. Je m’explique : CDG, c’est le symbole même de la modernité, du progrès. Mais aussi de tous les effets secondaires de ce progrès.
La campagne, elle est encore toute proche, n’est-ce pas. Mais l’est-elle vraiment ? Et pour quelle proportion de Dammartinois, je veux dire de « vieux » Dammartinois ?
Pourquoi penser à tout ça ? Pourquoi avoir accroché sur ce sujet ? Suis-je si vieux que ça ? Je vais donc vous répondre, ce sera une manière de me présenter, après tout. Mais plutôt que parler de moi, si vous me le permettez, je vais plutôt vous parler de mon grand-père, à la mémoire duquel je dédie ce petit texte.
Deux mots donc sur ce fameux grand-père dont je me "rapproche par l'âge" : Il est mort à cinquante-sept ans des suites de ses blessures de guerre, après vingt années de "'rabiot", comme aurait dit ma grand-mère.
Vingt belles années tout de même, à ce que j'ai cru comprendre, même si je n’étais qu’un gamin alors.
Maintenant c'est mon tour d’être vieux. J’ai bientôt l'âge qu'il avait quand je suis né, et je pose la question : ma vie va-t-elle être aussi belle, aussi remplie que la sienne ? Pour l’instant, je ne me plains pas. Mais c’est quand même cette question du verger qui me tarabuste. Pour moi, pour tous les habitants de la région parisienne, dont Dammartin fait partie.
Car, franchement, de l’exemple que mon grand-père m’a donné, en terme de courage, de soif de vivre, malgré ces quelques grammes d’acier excédentaires dans ses poumons, malgré l’impossibilité de jamais se coucher pour dormir, sauf à y rester, malgré le souffle souvent court et l’air qui parfois vient à manquer, malgré l’obligation de gérer ce précieux souffle comme un nageur de combat, de l’exemple qu’il ma donné, j’ai déduit que la qualité d’une vie de vieux, ça tient à peu de choses : un verger, des ruches, la lecture des revues d'apiculture qu'il recevait et dévorait en autodidacte éternel qu'il était, et, évidemment, son petit fils, son "premier fils", puisqu'il avait eu lui-même une fille, ma mère, et que, se sachant en sursis, il avait à coeur de transmettre à ce petit garçon les principes qui avaient guidé sa propre vie.
Cultiver son verger, et "faire pousser ce gamin comme il faut", étaient donc, je crois, ses deux plaisirs dans la vie. Le boulot ? Je ne dis pas qu'il ne s'y intéressait pas, mais dans la mesure où, après avoir quasi donné sa vie pour son pays, et échappé de peu à la mort, il était redevenu "rampant", je crois qu'il se rattrapait du côté trop statique de son boulot en prenant son vélo et en montant au verger, justement. D'où l'importance de ce bout de terre dans sa vie.
Mais continuons. Car, comme je vais tenter de vous le démontrer, ce verger, aujourd’hui, prend à mes yeux une importance encore plus grande qu’avant. Et une importance paradoxale.
Comment vivons-nous ? Pas trop mal ma foi, soyons honnêtes. Même assez pauvre comme je le suis, et comme le sont la plupart d’entre nous, je mesure le chemin que nous croyons avoir accompli en terme de confort : regardez, nous avons des légumes et des fruits en toute saisons au supermarché, le bocal de cerises du Nord coûte un malheureux euro, celui de miel de Chine guère plus, allons, en apparence, comme des enfants qui pourraient entrer dans un magasin de confiserie et se servir à peu de frais, au point de s’en rendre malades, nous n’avons pas à nous plaindre.
Seulement voilà. Cette aisance apparente dans l’approvisionnement, aisance qui, d’ailleurs, est loin d’être générale, tout n’est pas pour autant « bon marché », mais pour certains produits, réputés chers dans ma jeunesse, quand on les achetait chez l’épicier, si, c’est vrai, les prix ont chuté, au point de nous donner cette impression d’aisance apparente, eh bien, cette impression pourrait avoir pour conséquence de nous faire croire que nous n'en avons plus besoin, de ce petit lopin de terre, de ce petit verger, de ce potager.
C’est vrai, on s’occupe de tout pour nous. Mais tentons d’y voir plus clair, que se passe-t-il ? Eh bien, je vais vous dire ce qu’il se passe. Les Grandes Surfaces, que vous et moi avons vu apparaître avec un réel plaisir dans les années 70, sachez tout de même qu’elles ont un beau jour décidé, elles et leurs exploitants, nouveaux Seigneurs de notre société, de nous mettre en coupe réglée, et de s'occuper, malgré leurs beaux slogans, de vider notre porte-monnaie. Comment ? Très simple. En trouvant, tous les jours, de nouveaux produits, de nouveaux besoins qu'il nous faut satisfaire à tout prix. Par quoi ça a commencé ? Il faudrait chercher, mais, voyons, au départ, par les conserves. La boîte en aluminium a remplacé la conserve que nous faisions nous-mêmes, pour la morte saison, à partir des légumes du potager. Les confitures ont suivi. La viande ? Bon, je ne vais pas me plaindre. N’ayant pas de poulailler nous-mêmes, ni accès à un ami paysan pour la viande bovine, nous allions chez le boucher, comme tout le monde. Et le prix de la viande étant ce qu’il était, ma foi, nous ne mangions pas du steak tous les jours. Ou, si j’en mangeais, c’était parce que ma grand-mère, elle, s’en passait pour m’en acheter. Les supermarchés sont arrivés, et c’est vrai, le prix de la viande en supermarché a baissé.
En fait, il s’est passé pour tout ceci, quand j’y pense, ce qui s’est passé pour le Minitel, il y vingt ans. Gratuit en apparence, du moins l’appareil. Et là, on ne s’est pas rendu compte qu’en fonçant sur ces produits moins chers que chez l’épicier du coin, en fait, nous préparions la fin de notre relative auto-suffisance en produits frais et de saison : Il faut dire que c’est à peu près à cette époque-là, qu’en ce qui nous concerne, nous l’avons perdu, le petit jardin dont parle Jacques Dutronc. A la place, des HLMs, et sur l’opération, des bénéfices juteux et tout le cortège des prébendes et des scandales dont malheureusement, ce genre d’opération immobilière est le terreau naturel. Des bénéfices juteux d’un côté, et la mort de l’autre. Tous les petits vieux que j’ai connus alors, tous sans exception, une fois privés de leur petit verger, sont morts dans les deux années qui ont suivi. Pour eux, le verger, c’était « vital ». En sectionnant le lien à la terre, on leur a fait ce qu’on fait à un plongeur en bouteille en sectionnant son tuyau d’arrivée d’air. Oh, je sais, depuis, nous autres les futurs vieux, nous avons eu le temps de nous adapter. Nous avons adoré la télé, les Dossiers de l’Ecran, au Théâtre ce Soir, Lagardère, les Chevaliers du Ciel, le Petit Rapporteur. Privés de vergers, trente ans avant Internet, nous nous sommes, déjà, enfoncés gaiement dans le virtuel, dans le cathodique, dans le monde de l’image et de l’information toute mâchée. Nous avons, sans le savoir, préparé la structure qui allait nous attendre pour notre vieillesse, une vie faite de télévision dans la chambre, de courses hebdomadaires à l’Hypermarché le plus proche, caddy bien rempli pour ne pas avoir à y retourner, une essence trop chère pour se permettre ça, et, pour finir, un beau jour, une vie rythmée par cette télé, et aussi par l’attente, allez, encore une heure, et ce sera bientôt l’heure du repas dans la "résidence" où on se retrouve, il faut bien le dire, un peu comme en caserne.
La vie, croyez-moi, ce n’est pas ça. Ni à Dammartin ni ailleurs. Ni vieux ni jeune.
La vie, si je me cale, en bon ouvrier, sur le gabarit que m'a légué mon grand-père durant les trop courtes années où je l'ai eu avec moi, la vie, c'est de pouvoir continuer à se prendre en main.
Se prendre en main, c'est justement, pouvoir avoir la force d’aller à Deauville avec un pote, tous les deux, comme des Grands, sans être obligé, une fois de plus, d'être la proie d'une de ces associations et autres organisations non gouvernementales, et bientôt, sociétés privées dans ce secteur juteux du "service à la personne", qui vont, à l'image des Supermarchés et des hypermarchés des années 70, apparaître dans notre paysage avec les meilleures intentions du monde à notre égard.
La force et les moyens, me direz-vous ? Oui, les moyens, ou, mieux encore, le bénéfice de tarifs SNCF les plus doux possibles. D’ailleurs, je pose la question à nos hommes politiques, en ces temps de lutte contre le réchauffement climatique, d’économie des énergies fossiles, de prévention des cancers liés à la pollution atmosphérique : Mesdames, Messieurs les Politiques, dites-nous : à quand la gratuité totale des transports en commun à faible impact écologique, je veux parler du train bien évidemment. Nom d'une pipe, la formule « train plus vélo », qu’affectionnait mon grand-père, on n'a pas encore trouvé mieux en terme d'impact écologique. Si, si, pardon, la péniche tirée par des chevaux sur les chemins de hâlage, mais bon, ça date un peu…
La vie, la vraie vie, pour assurer la continuité avec le post qui précède, même si c’est, en apparence, pour la bonne cause qu’on prend sur les finances communales pour payer à des vieux un voyage en car à Deauville, une fois dans l’année, la vraie vie, à mon humble avis, qui était, je crois, celui de mon grand-père, ce n’est pas de s’entasser dans un car payé par la collectivité, maigre lot de consolation, vous ne trouvez pas ? Pour moi, la vraie vie, c’est de pouvoir prendre le train pour aller à Deauville avec sa femme, en vieux amants, comme dirait Jacques Brel, sa femme ou son mari, quand on a la chance de l'avoir encore. Ou un copain, ou une bande de copains, ou tout seul, si c'est tout seul qu'on se sent bien, pour pouvoir penser. A Deauville avec son vélo, pour rouler sur les planches, peinard, hors saison, et reprendre le train du soir, pour revenir à Saint Lazare, pas super pratique, je sais, le changement Saint Lazare - Transilien, mais bon, il faut faire avec ce qu'on a, et on est bien content de rentrer le soir dormir dans son lit après une bonne journée à la mer, à manger quelques huîtres de Saint Vaast.
|