Mais ce n’est pas le seul : l’autre débat encore plus fondamental est le suivant : dans quelle atmosphère je plonge mes enfants en acceptant de vivre à Dammartin et en les scolarisant à Dammartin ? Est-on en droit d’être fier du niveau et de la tenue des écoles, ça c’est une question fondamentale, sinon, c’est simple, la tentation est grande, rien que pour cette raison-là, de déménager pour se rapprocher d’un endroit plus propice à la bonne éducation, à la fois sur le plan scolaire et surtout sur le plan éthique, de nos enfants !
Sinon, dans un monde idéal, quelle chance d’habiter Dammartin ! Pouvoir se dire qu’on n’a pas à s’en faire, que le gamin va pouvoir poursuivre une scolarité ici même, dans une commune de taille critique, de la maternelle au lycée qui, pour ainsi dire, fait partie de Dammartin, et n’est qu’à deux kilomètres du centre ville ! Franchement, en tant que parent, moi, je dis que, normalement, ce devrait être une chance : quel gain de temps, quel gain d’énergie, de stress, de crainte pour les parents, qui n’ont pas à se dire, sans arrêt, « quand est-ce qu’il va rentrer, est-ce qu’il va rater le car, est-ce qu’il va faire des mauvaises rencontres en chemin, est-ce que je vais devoir l’emmener si le car de ramassage est en panne, etc ».
En quoi, cependant, cette situation risque-t-elle de ne pas être aussi rose dans la réalité que dans l’image idéale que j’en donne ?
C’est un peu à vous de répondre pour me dire si vous êtes d’accord avec ma vision d’un Dammartin idéal : Moi, ce que je vous dirai, c’est, qu’en tant que parent, j’ai envie, comme vous, que mes enfants « s’en sortent » et s’en sortent bien de leurs études. Oh, je n’ai pas la prétention de leur faire faire polytechnique à tout prix, mais je voudrais qu’ils aient un niveau correct, que les portes leur restent ouvertes pour continuer sur des métiers qui leur plairaient, sans que le problème de la sélection ne se pose avec une acuité telle qu’ils puissent me dire un jour, plus tard, quand je serai plus vieux et qu’eux seront déjà plus vieux :
« Tu vois, Papa, l’erreur que vous avez faite, Maman et toi, a été de rester à Dammartin. On aurait dû déménager. Parce que, comme ça, j’aurais peut-être été dans un bahut d’un niveau bien meilleur, je n’aurais pas perdu mon temps comme je l’ai fait avec mes potes de l’époque, j’aurais eu un bon dossier et une mention à mon bac S, et j’aurais ainsi pu être admis dans une prépa scientifique me préparant à ce métier de pilote, dont tu nous a quand même donné le goût, Papa, avoue-le, en nous entraînant dans les aventures de notre enfance. Alors, à quoi ça sert maintenant, de nous avoir mis ça dans la tête, maintenant que je galère parce que je n’ai pas été admis en math sup et que je m’ennuie à la fac à Marne la Vallée, dont je sais très bien que je n’aurai aucune chance de sortir avec un diplôme me permettant de passer la sélection Cadets Air France avec une réelle chance de succès. Et je ne parle même pas de l’Enac pilotes ou de l’école de l’Air de Salon de Provence, pour ça, pour avoir une chance, tu sais bien qu’il m’aurait fallu faire une prépa scientifique ! Le concours est bien trop dur pour moi ! Voilà, c’est ça le résultat de votre choix, à maman et à toi. On est resté à Dammartin, je suis allé, bien peinard, de la maternelle jusqu’à CDG, mais pas le bon CDG, désolé de te le dire, Papa, pas celui dont je rêvais. Tu aurais dû te réveiller un peu plus tôt, Papa. Tu as bien vu que mes résultats, pour être corrects, alors que je n’en foutais pas la rame, n’étaient pas pour autant grandioses. 10 de moyenne en math, tu sais bien que ça suffisait pour avoir le bac, mais pas pour être admis en prépa. Tu aurais dû comprendre qu’en se contentant pour ton fiston d’un niveau moyen comme ça, tu le laissais prendre du retard par rapport aux autres garçons de son âge, qui, eux, ont eu la chance d’avoir des parents qui habitent sur Paris. Je sais bien que, pour maman et pour toi, ça aurait voulu dire prendre le RER pour venir bosser à Roissy, mais n’empêche que, comme ça, j’aurais peut-être mieux préparé mon avenir. Alors que là, franchement, mon avenir avec ce que je fais en ce moment à la fac, il s’appelle Air Anpe, si tu vois ce que je veux dire, Papa. »
Bon, si on est impressionné par le petit texte qui précède et qu’on n’est pas satisfait des résultats au bac et des résultats en termes d’admission en classe prépa des élèves de terminale du Lycée Charles de Gaulle, on peut encore se consoler en se disant qu’on a la chance, en habitant Dammartin, d’être proche d’une ville de taille critique (en l’occurrence Paris) où l’on pourra envoyer les enfants faire leurs études : toute la question est de savoir : à partir de quelle classe ? Le collège ? Ils sont quand même trop petits à cet âge-là pour se taper le RER, et puis, la carte scolaire, même supprimée officiellement, elle va continuer à s’imposer dans les faits, et, dans un sens, ce n’est pas plus mal, sinon, on pourrait craindre qu’il ne reste que des mauvais élèves dans des petits collèges comme celui de Dammartin, les personnes les plus aisées de la commune se rabattant sur des collèges plus huppés, à Paris par exemple.
Puisqu’on y est, en voilà donc encore un, de débat : quelles réponses donnent-ils, nos chers candidats, et les partis auxquels ils appartiennent, à nos inquiétudes concernant l’éducation de nos enfants ? Quelle réponse apportent-ils à la question de la réussite scolaire ? Et à celle de l’égalité des chances entre deux enfants : le premier est l’enfant d’un couple décidant d’habiter à Dammartin et le deuxième l’enfant d’un couple, absolument identique sur le plan sociologique au premier, mais faisant le choix d’habiter dans un petit appartement parisien ?
Quelle sont leurs propositions concrètes, au plan local, avec les moyens dont ils disposent, pour élever le niveau des gamins qui font toute leur scolarité à Dammartin ? Avouez que les résultats du bahut, sans être effroyables, ne sont quand même pas grandioses : dans la meilleure des classes, celle où les résultats au bac 2006 sont les plus satisfaisants, je veux parler de la Terminale S, avec ses 83,60% de reçus au bac, on n’a quand même pas des résultats grandioses en termes de mentions !
Vous allez me dire que je fais le difficile, mais soyons honnêtes, vous et moi : vous savez très bien que le bac S, pour être véritablement représentatif d’un bon niveau, il faut l’avoir avec une mention Bien ou Très Bien. Bon, je sais, en 2006, les résultats ont été grandioses : 5 mentions TB et 10 mentions B sur la petite centaine de candidats reçus. Mais les autres ? Les quatre-vingt cinq autres ? Que vont-ils devenir ? La fac ? Vous trouvez que je suis élitiste, que j’en réclame trop, que je devrais déjà être content qu’un bahut de banlieue nord-est puisse obtenir de tels résultats.
Mais je le suis, content, je ne me plains pas. Pour ceux qui s’en sortent, tout va bien. Le problème, comme d’habitude, c’est pour les autres. Je ne dis pas qu’ils seront malheureux, il y a trente six mille façons de réussir sa vie sans passer par le filtre des Grandes Ecoles d’Ingénieur ou de Commerce. N’empêche que, dans notre beau pays, de par cette espère de tradition post-royaliste qui a voulu que la République et l’Empire se recréent leur petite noblesse personnelle, Grands Corps de l’Etat, Grandes Ecoles, etc, une noblesse « au cerveau », au mérite, je ne le nie pas, au mérite et au travail, qui a donné de Grands Hommes à notre pays, mais justement, dans cette logique-là, pour démarrer dans la vie et trouver un bon boulot, c’est quand même plus facile quand on a la chance de sortir d’une Grande Ecole que d’un IUT de banlieue.
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